CE
QUE DISAIT JOSEPH DJOGBENOU LE 02 OCTOBRE 2011 À PROPOS DE L'INTERDICTION DU
DROIT DE GRÈVE
<
<La Cour ne peut interdire le droit de grève >>
A
la recherche d’un spécialiste du droit qui apporterait son éclairage sur la
désormais historique décision de la Cour constitutionnelle relative à la
suppression du droit de grève aux paramilitaires, militaires et corps
assimilés, Me Joseph Djogbénou, s’est prêté de bonne grâce à nos questions à
son cabinet à un moment où (hier soir, dimanche) il était sensé jouir de son
repos dominical.
Avocat,
agrégé de droit et professeur des universités, l’homme reste formel sur le
sujet et a tenu à dire son point de vue afin que ceux qui ont des oreilles
entendent.
<
Parmi les questions de droit posées à la Cour, il y en a une d‘essentielle et
fondamentale. Est-ce que l’interdiction du droit de la grève prescrite par la
loi adoptée par l’Assemblée nationale, à l’égard des fonctionnaires, quoique
paramilitaires ou militaires et assimilés, est conforme à la Constitution ?
>
La
Cour constitutionnelle, en faisant recours aux instruments internationaux,
notamment au Pacte international relatifs aux droits sociaux, politiques et
économiques, et aux Pactes de l’organisation internationale du travail, a
considéré que les interdictions faites étaient valables. Or, cette solution ne
parait pas conforme à la Constitution d’une part, d’autre part à la
jurisprudence. Et quand on parle de la jurisprudence, il s’agit de la
jurisprudence de la Cour constitutionnelle, elle-même. La jurisprudence
étrangère, notamment celle du Conseil d’Etat Français, n’est pas respectée.
D’abord, sur la constitution, il faut lire l’article 31 de la Constitution qui
dispose que l’Etat reconnait et garantit (regarder bien la conjonction de
coordination «et»). La garantie n’est pas l’interdiction, il est vrai que la
Constitution dispose également que tout travailleur peut défendre dans les
conditions prévues par la loi l’exercice du droit de grève qui peut être
limité. Le droit de grève en lui-même ne peut être interdit; c’est son exercice
qui peut être limité. C’est la Constitution de notre pays qui a prévu cela.
Deuxième élément, au plan jurisprudentiel, quand on prend la décision de la
Cour constitutionnelle rendue à une date et un jour mémorable : le 4 avril
2006, on se rappelle que le 4 avril 2006, l’actuel chef de l’Etat prêtait
serment, et pendant qu’il prêtait serment, la Cour constitutionnelle de notre
pays s’est occupée à protéger le droit de la grève en tant que l’un des droits
fondamentaux organisés, proclamés et garantis par la Constitution. Et que dit
la Cour constitutionnelle? Elle dit que même s’il s’agit des corps militaires,
la Constitution ne prévoit aucune exception au droit de la grève pour telle ou
telle catégorie de fonctionnaire. À partir de ce moment, bien entendu, cette
décision est en parfaite harmonie avec la Constitution.
Ce
qui est en jeu est de savoir si le droit de grève peut être interdit : La
réponse est non!
Est-ce
que le droit de grève peut être limité? La réponse est oui et personne ne peut
contredire les limitations appropriées que le législateur pourrait apporter.
Le
législateur a les coudées franches pour accomplir les limitations à l’exercice
du droit de grève. Par rapport à l’intérêt général, au projet de société du
gouvernement, eh bien les limitations peuvent être apportées. Mais
l’interdiction ne peut pas l’être. Il faut ajouter à cela, que le Pacte
international relatif aux droits sociaux et économiques des Nations Unies a
prévu que, bien entendu, le droit de grève est reconnu mais son exercice peut
être limité. En faisant un peu du droit comparé, le Conseil d’Etat a rendu, là
également, une décision par rapport aux agents des CRS et des agents
préfectoraux qui avaient souhaité se mettre en mouvement de grève. À ce sujet,
le Gouvernement Français a blâmé certains membres du personnel. Ce n’est pas
une interdiction, c’est une sanction disciplinaire que le gouvernement a
apporté et l’arrêt Dehaene du nom de l’une des personnes à avoir été blâmées, a
saisi le Conseil d’Etat français et dans sa décision, le Conseil d’Etat a
reconnu dans son préambule le droit de grève. À partir de ce moment, en
principe, son exercice est limité et dans le cas de la limitation de cet
exercice, le gouvernement peut blâmer le comportement de tel ou tel agent mais
non pas d’interdire l’exercice du droit de grève. Quand on prend bout à bout
toutes les décisions de ces législations, on comprend bien que la décision
rendue par la Cour constitutionnelle mérite qu’on émette des réserves.
Il
faut reconnaitre que nous sommes en train de régresser fondamentalement au plan
de la protection des libertés. Il est difficile de comprendre que là où la
Constitution de l’Etat garantit un droit, l’Etat en vienne à l’interdire et que
la Cour constitutionnelle trouve que l’interdiction est une garantie. Cela est
extraordinaire et exceptionnel! Nous sommes dans une période politique où les
enjeux ne sont pas ceux de l’esprit et de la lettre de la Constitution; les
enjeux sont ailleurs. Faut-il souhaiter que la période soit consommée et que
les choses reviennent à la normale pour que le Bénin recouvre, à travers ses
institutions, la bonne mesure, la bonne cohérence, la bonne harmonie avec la
Constitution? Je n’ai pas envie de parler de violation de la Constitution par
la Cour constitutionnelle mais son interprétation par la Cour entame
véritablement la lettre et l’esprit de la Constitution. On peut même oser dire
que la révision jurisprudentielle de la Constitution est une chose réelle. La
Cour constitutionnelle a révisé par sa jurisprudence la Constitution dans le
sens de la doctrine en son sein. À coup de décisions, on peut interdire
l’expression des libertés. La société et les citoyens pourraient être tenus,
mais ce ne sera que pour un temps. À coup de décisions, de lois, on ne peut pas
interdire la pensée, ni ce que pensent les citoyens, leur manière de voir les
choses. Nulle loi, nulle décision ne peut interdire cela. La thérapie sociale
consiste à laisser s’exprimer la pensée humaine pour mieux la réguler. Lorsque
l’on interdit la pensée, on conduit la société à l’éclatement et c’est ce qu’il
faut craindre''.
Emmanuel
Tachin & Vincent FOLY